La laïcité vue par Alain Rey
De 1993 à 2006, sur France Inter, le linguiste Alain Rey, décédé le 28 octobre 2020, décortiquait
quotidiennement un mot de l’actualité. Dans sa chronique du 22 octobre 2003, le lexicologue
abordait ce concept républicain de laïcité et en donnait la définition.
« L’opposé de la laïcité, ce n’est pas les religions, c’est le cléricalisme. »
C’est un thème passionnant, mais qui ne va pas sans ambiguïté ni arrière-pensées. C’est un
principe républicain que personne ne conteste directement, mais qu’on peut contourner, un
principe de neutralité et de séparation entre les croyances religieuses et la société civile. Un
principe qui n’est pas négociable, c’est le président de la république française qui le dit. Vous
l’avez évidement compris, c’est la laïcité.
Madame Boutin, Christine, prénom prédestiné, l’interprète comme le respect de toutes les
croyances du moment qu’elles sont véhiculées par une religion. Car on suppose qu’elle n’y
inclut pas « le temple solaire » et les autres délires sectaires. Alors que beaucoup, dont je suis,
y voient un sursaut de la raison humaniste contre toute définition surnaturelle, irrationnelle et
imposée du monde et de l’homme.
Le mot « laïque », calqué du latin « laïcus », date du Moyen-Âge, mais la laïcité, elle, s’identifie
à la Troisième République. La loi du 28 mars 1882 sur l’enseignement impose donc à
l’enseignement public d’écarter tout présupposé dogmatique. Les croyances religieuses doivent
rester personnelles et ne pas être imposées ou tout simplement supposées de manière
publique, comme le faisait l’enseignement religieux qui était chrétien et catholique en France, à
l’époque.
Cela dit, la laïcité n’est pas seulement une affaire d’enseignement. Toute la société dite civile est
concernée. L’école laïque ne suffit pas pour instaurer une laïcité. Respecter les religions, mais
toutes, pas une seule. Inventer un espace public neutre, séparé des Églises, tel était, et tel me
semble-t-il devrait être le principe de laïcité républicaine. Étroit rapport entre les deux principes :
« Res publica » la chose publique, commune, sociale, dans les institutions de l’État. Laïque, du
grec « laïkos » qui vient de « laos » le peuple.
L’opposé de la laïcité, ce n’est pas les religions, c’est le cléricalisme. Car laïque s’oppose à
« clerc » et à « clérical» et non à « religieux », ni même à « confessionnel ». La laïcité fut
d’abord une lutte contre le pouvoir politique du clergé. D’où l’anticléricalisme. L’anticléricalisme,
pense-t-on, je crois à juste raison est moribond. Mais c’est parce que le cléricalisme militant à
disparu. En revanche, la laïcité ne s’oppose plus à l’influence exclusive du catholicisme, mais à
toute propagande religieuse. Et là, le cléricalisme n’a pas disparu, surtout quand elle est
intolérante.
Le respect de la religion suppose la neutralité. Le respect de la pensée libre, et pourquoi pas
rationnelle, c’est la république de ceux qui croient au ciel et de ceux qui n’y croient pas. A
égalité. Est-ce une vue de l’esprit ? »
Source : Institut national de l’audiovisuel – 22 octobre 2003
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